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C’était un traquenard !

Je me suis laissé prendre dans un traquenard.

Par un personnage retors venu de cinq cents ans dans le futur.

Par une lettre datant de six mille ans dans le passé.

Par ma propre stupidité, se dit Sutton.

Il se redressa sur son séant, prit sa tête dans ses mains, sentit le soleil couchant dans son dos, entendit le chant d’un oiseau dans le buisson de ronces et le bruissement du vent dans les rangées de maïs.

Je me suis laissé mener et prendre dans un traquenard, se dit-il.

Il éloigna ses mains de son visage. Là-bas, dans l’herbe piétinée, gisait la clé à molette avec du sang à une extrémité. Sutton écarta les doigts et vit du sang sur eux aussi… un sang tiède et visqueux. Doucement, il se toucha la tête d’une main prudente, ses cheveux étaient collants.

Un enchaînement, se dit-il. Tout cela suit un enchaînement.

Me voilà ici ; la clé réglable est là, et de l’autre côté de la clôture se trouve le champ de maïs, qui monte un peu plus haut que le genou en ce splendide après-midi du 4 juillet 1977.

La machine est partie, et dans une heure environ, John H. Sutton reviendra en descendant la pente d’un pas lourd pour poser les questions qu’il a oublié de formuler tout à l’heure. Et dans dix ans d’ici, il écrira une lettre où il consignera ses soupçons en ce qui me concerne, tandis qu’au même moment, je serai dans la cour de la ferme à pomper de l’eau pour boire.

Sutton se leva en chancelant et se dressa dans le vide de l’après-midi, avec l’étendue du ciel par-dessus l’horizon de la crête et le panorama de la rivière sinueuse très loin en bas de la pente.

Il toucha la clé du pied et pensa : Je pourrais rompre l’enchaînement. Je pourrais prendre cette clé, John H. Sutton ne la trouverait pas, et une chose étant changée dans l’enchaînement, la fin pourrait ne pas être la même.

J’ai mal lu la lettre. Je me suis toujours figuré que ce serait un autre, pas moi. Il ne m’est jamais venu à l’esprit qu’il s’agirait de mon sang sur la clé et que je serais celui qui volerait les vêtements sur l’étendage.

Et pourtant certaines choses ne concordaient pas. Il avait encore ses vêtements et il n’avait aucun besoin d’en voler. Son vaisseau reposait au fond de la rivière et il n’avait aucune raison de rester.

Cependant, c’était arrivé comme cela, car si ce n’était pas arrivé, pourquoi y aurait-il eu la lettre ? La lettre l’avait fait venir ici et la lettre avait été écrite parce qu’il fallait qu’il vienne, donc il devait être déjà venu. Et cette fois-là, il était resté… et resté parce qu’il ne pouvait s’en aller. Cette fois-ci, il s’en irait, cette fois-ci, il n’avait pas besoin de rester.

Une seconde chance, se dit-il. Il m’a été donné une seconde chance. Cependant, cela ne tenait pas, car s’il y avait eu une seconde fois, le vieux John H. l’aurait su. Et il ne pouvait pas y avoir de seconde fois puisque l’on était en ce jour même où John H. avait parlé à l’homme venu du futur.

Sutton secoua la tête.

Cela n’était arrivé qu’une seule fois, et cette fois, bien entendu, était celle-ci même.

Quelque chose va se produire, se dit-il. Quelque chose qui m’empêchera de repartir. D’une manière ou d’une autre, je serai obligé de voler les vêtements et, finalement, j’irai jusqu’à cette ferme là-haut et je demanderai s’ils ont besoin d’aide pour la moisson.

Car l’enchaînement était fixé. Et il fallait qu’il le fût.

Sutton toucha de nouveau la clé du pied, réfléchissant.

Puis il s’éloigna et descendit la pente. En jetant un coup d’œil en arrière au moment où il pénétrait dans les bois, il aperçut le vieux John H. qui venait du haut de la pâture.